Les « Fêtes apocalyptiques » de la poète et globe-trotter Meery Devergnas ont inspiré les premières œuvres poétiques de Guy Boulianne

L’une des personnes qui m’a le plus influencé au début de ma carrière artistique, il y a plus de 35 ans, est la poétesse Meery Devergnas. Son recueil de poésie « Fêtes apocalyptiques » fut pour moi une véritable révélation. Sa poésie colorée et très imagée touchait de plein fouet mes cordes sensibles. Mais je vous raconte le plus fantastique :


« À Guy,
mage des rites nocturnes,
du spleen, des fêtes foraines
et de l’amitié. »

— Meery Devergnas

Lors de ma première participation au Salon du livre de Montréal en 1983, alors que j’attendais en ligne pour obtenir mon badge d’auteur, je reconnu de dos celle qui m’inspira dans mon œuvre poétique. Je m’approchai par derrière auprès de cette personne, elle se retourna et c’était bien elle : Meery Devergnas ! Nous sympathisâmes immédiatement et nous restâmes ensemble durant un bon moment pendant ce salon du livre. Ce fut un moment réellement merveilleux et magique pour moi qui n’avait alors que 20 ans.

D’autres poètes m’ont inspiré dans ma jeunesse dont Michel Metthé, Germain Beauchamp, Ronald Després … sans oublier bien sûr Félix Leclerc. Le grand poète et rockeur américain Jim Morrison m’a aussi beaucoup influencé dans le style de ma poésie (au même titre que Meery Devergnas). Dans le domaine des arts visuels, ma plus grande influence aura été le frère Jérôme. Je dois aussi rendre un hommage au sculpteur Armand Vaillancourt et à la poétesse Janou Saint-Denis. Tous trois étaient des amis intimes. 

L’Estonienne Meery Devergnas (née Krindatchevka le 25 mars 1912) quitte l’Union soviétique en 1922, à l’âge de dix ans. Elle a par la suite vécu dans de nombreux pays européens dont la Suisse et la France, où elle a reçu le Prix Découverte-Poésie pour son recueil « Reliquaires » (Paris, 1961) et une mention pour le prix international du Vichy (1963). Elle publie des poèmes et des traductions du poète russe Youri Galanskov. Elle se fixe à Montréal en 1963 où elle écrit un recueil de nouvelles, « Fuite » (1976).

Au Québec, sa carrière a été particulièrement féconde. C’est ici que la plupart de ses ouvrages ont été édités. Essayiste, elle a écrit pour Le Devoir de nombreux articles sur la littérature russe et soviétique. Membre de la Société des poètes canadiens-français, de la Société des écrivains canadiens-français depuis 1967 et du PEN Club international depuis 1973, Meery Devergnas a collaboré aux revues « Poésie », « Incidences », « Le Monde moderne », « Catacombes » (Paris), etc.

À l’occasion de son retour d’Europe, Meery Devergnas a remis à la BAnQ l’ensemble de ses papiers concernant son séjour de 25 ans au Québec. Son fonds contient les manuscrits de ses principales oeuvres : « Tec-Tec », « Fête apocalyptique », « Fuite ». On y trouve de plus un grand nombre d’articles qu’elle a rédigés sur la littérature russe et soviétique. Par ailleurs, plus de la moitié du fonds est constituée d’une riche correspondance avec, entre autres, Rina Lasnier, Pierre Mathieu, Claire Delamirande, Reine Malouin, Suzanne Paradis.

Meery Devergnas nous a quittés paisiblement dans son sommeil à l’âge de 101 ans. La cérémonie religieuse fut célébrée samedi 14 septembre 2013 en l’église de Notre-Dame de Cholet, en France. Meery repose au funérarium Gillard-Mathon.

Fonds Rina Lasnier – 1895-2002 (cote : MSS264). Poèmes de Meery Devergnas. BAnQ Vieux-Montréal.

L’ennui, la fête et l’immense révolte universelle

Par Jacques Renaud (Le devoir, 8 octobre 1977)

(…) Il appert que l’on ne devient pas poète, souvent, sans être éprouvé par ce dynamisme encore mystérieux des dissolutions et des “coagulations » pour employer un terme d’alchimie. Ainsi peut commencer à se manifes­ter une vision, prendre forme sa genèse.

J’en veux pour exemple la Fête apocalyptique que Meery Devergnas publiait récem­ment. C’est ici la vision oniri­que de la fin du prêtre et du rite qui ouvre les pages les plus fortes et en même temps les plus sereines du recueil, celles qui lui donnent son ti­tre. Cette poésie est aussi tra­versée de part en part par l’âme slave (l’auteur est d’ori­gine estonienne) et elle est tra­vaillée de toutes parts par une vision des fins dernières où la religion s’écroule, où l’âme la plus profonde cherche à jaillir au milieu des convulsions du monde, ces dernières consti­tuant les conditions d’une nouvelle naissance ou d’une transfiguration. Nous sommes ici très loin de l’inversion sou­vent étouffante du freudo-marxisme et nous attouchons souvent au sens de la dissolu­tion des vieilles structures : brassés par l’infernale rota­tion — les éléments retour­nent à leur matrice originelle — d’où renaîtra un jour — fuit d’incestueuses amours de lois abolies — une forme de vie nouvelle. Quelques vers plus haut, on lit ceci : Assoiffés — ce n’est qu’au fond d’elles-mêmes — où l’Infini se cache — que les âmes de paix boi­ront la fraicheur. Faut-il s’é­tonner de retrouver chez cette chrétienne une vision qui l’ap­parente. sous certain aspect, à la vision d’un bon nombre d’autres poètes d’ici ayant rompu avec la tradition scléro­sée pour retrouver dans les convulsions de leur propre apocalypse ces très anciens se­crets perdus dont parle Meery Devergnas dans ce poème inti­tulé “Sagesse”, certainement l’un des plus sobres mais aussi l’un des plus archétypal du re­cueil, où l’image de l’arbre de la Genèse et de son fruit est spontanément rédimée, ren­due à tout l’amour, à tout l’es­poir. que l’exégèse orthodoxe en avait retiré.

Nous y reviendrons plus bas. Le thème de la brisure avec la protection rituelle (qui répond, chez les croyants, au garde fou idéologique des marxistes) est ici vécu avec une violence dramatique. Il témoigne de la persistance, dans la psychée occidentale, de la brisure religieuse qui s’est effectuée dans le monde au cours de ce siècle et ici-même à partir des années soi­xante. Je ne sais si ce poète en est conscient mais son ou­vrage ouvre la genèse d’une œuvre qui le rendra libre. L’instinct sacrificiel y est par­fois prenant, l’on a le senti­ment d’un dépassement des li­mites humaines : Ténèbres blanches — hommes et trou­peaux serrés — hurlent et blasphèment — hurlent et bê­lent — Trois cents fois — trois cents jours et trois cents nuits — le soleil obscurci ménage sa lumière (et surtout, plus haut, dans Chants noirs) : Morts deux fois morts enfouis — dans la tiédeur cruelle des nei­ges — accueillez-moi! — Au-delà des champs blancs — et du toit oublié — me voici cloué à l’horizon.

Et voici un extrait de Sages­se : Le soleil déclinant — tein­dra mes ongles d’incarnat — quand les sages viendront — méditer à mon ombre. — Je serai le murmure — de leurs ans révolus — je serai leur fraicheur — je serai l’arbre de la science. — C’est par mon fruit mordu — que leurs er­rance ne sera plus exil — mais la patiente quête — de très an­ciens secrets perdus.

J’ai confiance en cette voix, même si ce poète est loin en­core d’avoir dégagé toute la réalité de son génie. Un défaut l’entrave encore — que son gé­nie poétique perce cependant et c’est le pamphlet morali­sant. Meery Devergnas a aussi le sens de l’humour poétique, ce qui est une qualité rare, elle est aussi parfois visitée par d’ineffables coups d’ailes poétiques qui semblent lui ve­nir comme à son corps défen­dant et elle a un sens inné de l’archétype.


RÉFÉRENCES :

Anthologie2020PUB007

Gary Jomphe
5

« Merci encore pour tout l'excellent travail et longue vie à toi mon ami ! »

💛 😁 Vous avez apprécié cet article ? Je vous remercie de m’offrir un café. 😃 💛
VEUILLEZ NOTER : Les commentaires des lecteurs et lectrices peuvent être approuvés ou non, à ma seule discrétion et sans préavis. Merci de votre compréhension. — Guy Boulianne
Partager cet article sur les réseaux sociaux :
Traduire/Translate
Ce contenu est protégé ! Merci.