Il est clair que le Prince Ursus est un personnage mystérieux autour duquel gravite une grande part de l’histoire secrète de la France. Il est le pivot central sur lequel se sont forgées les légendes arthuriennes et graéliques. Descendant de Dagobert II, de Gisèle de Rhedae et de Theodoric IV de Narbonne (Thierry Ier d’Autun), Ursus était présent lors de la translation des reliques de saint Baudile en 878, l’auteur anonyme précisant qu’il était le vicomte de Nîmes. [1] Lorsque les reliques du saint furent découvertes, les évêques entonnèrent le Te Deum, chanté par les ecclésiastiques qui étaient présents et qu’on assure avoir été au nombre de cinq cents. [2] C’est probablement à ce moment que Ursus se fit couronner en tant que Roi des Juifs : « Cum principe Urso, quem comes vice sua misit, celeriter urbem Nemausum adierunt ».
En 877, Ursus participa à l’insurrection organisée par Bernard Plantevelue contre Louis II le Bègue. Deux ans plus tard, abandonné de tous, Bernard rassembla ses derniers partisans et alla se réfugier dans le comté d’Autun, d’où il mit tout le pays à contribution. L’armée de Bourgogne finissait de remettre le comté d’Autun sous l’obéissance du roi, lorsqu’elle apprit la mort de ce dernier, survenue le 10 avril 879. Six mois plus tard, Boson convoqua une assemblée à Mantaille et se fit élire et couronner roi de Bourgogne-Provence. [3] Ayant probablement changé de camp et combattu Bernard Plantevelue aux côtés de Boson, ce dernier remit à Ursus la seigneurie de Bollène où une partie de ses descendants fit souche, donnant naissance à la lignée des De Bouillanne (Bollana, Abolena, de Bollanicis). [4]
Ce n’est certes pas un hasard si Antoine Barnave écrivait dans ses mémoires en 1787 : « L’origine de la noblesse des maisons de Richaud (branche cousine) et de Bouillanne, de la vallée de Quint, se perd dans la nuit des temps. les preuves multipliées de la noblesse des maisons de Richaud et de Bouillanne, consignées dans les registres de la chambre des comptes, et le peu de monuments qui leur restent pardevers, la présentent comme si ancienne, qu’il n’y a pas beaucoup de maisons dans la province qui puissent prouver au-delà ». C’est à ce titre qu’ils furent honorés et acclamés par les représentants des Trois Ordres (noblesse, clergé et Tiers Etat) à l’Assemblée de Vizille en 1788. D’après la tradition, ils furent placés à la droite du président, « comme étant les plus anciens nobles de la province », et opinèrent toujours comme lui. [5] D’ailleurs, la noblesse des de Bouillanne et de Richaud fut reconnue par François Ier de Lorraine, 2e duc de Guise, dit « le Balafré », le 17 mars 1554.
Ces deux familles étaient très anciennement établies dans la vallée de Quint. Le Cartulaire de Léoncel, p. 141, mentionne Umberto de Bollana (Humbert de Bouillane) à la date du 21 septembre 1245, et le Recueil d’hommages relatif au Valentinois qualifie de nobles plusieurs membres de cette famille dans des actes de 1394 et de 1431, et de la famille Richaud en 1325, 1345 et 1349, ce qui semble établir que le prétendu anoblissement qu’aurait fait Louis XI n’est qu’une légende. [6] Umberto de Bollana figure également dans deux textes du mois de novembre 1245 élaborés dans le même village. Par ailleurs, les archives de la Drôme et de l’Isère conservent l’hommage rendu à Aimar de Poitiers, le 18 mars 1327, par noble Pierre de Richaud, et le 8 décembre 1349, par « noble homme, Hugues de Bouillanne » pour leurs biens situés en Pays de Quint.
Les membres de l’association française « Les descendants des de Richaud et de Bouillanne » n’ont jamais réussi à étendre leurs recherches généalogiques au-delà de l’année 1245, et ceci depuis près de vingt ans. Ils s’arrêtèrent au fameux Cartulaire de Léoncel, dans le département de la Drôme. Robert Hugonnard l’écrivait pourtant : « Laissons donc la légende se parer de plumes multicolores, s’affubler d’oripeaux clinquants, s’embraser de tous les désirs refoulés, s’enflammer comme un toro de fuego. Par contre, soyons intransigeants, droits et raides dans nos armures médiévales. (…) La lancinante légende demeure, se ramifie, se diversifie plus forte que la vérité… ou la vérité elle-même ! Restons humbles, déférents. Cherchons, creusons encore ». [7]
Le Cartulaire de la Commanderie de Richerenches
La présence de la famille de Bollène (de Bouillanne) au-delà de l’an 1245 est maintenant confirmée dans le Cartulaire de la Commanderie de Richerenches, dans lequel trois membres de la famille sont nommés à la date du 17 octobre 1168 lors d’une donation à l’Ordre du Temple : « Et ego Villelmus Bollana, et Petrus Bollana, et Stephanus Bollana, nos omnes vollintate bona, pratum quod habebamus Armani de Bordellis, quod est infra istos terminos predictos, donamus, et super textum Euvangeliorum affirmamus fratribus Templi in domo de Richarenchis permanentibus, presentibus et futuris, et in manibus Deude de Stagno ».
Il s’agit de Villelmus Bollana, de Petrus Bollana et de Stephanus Boliana tous les trois témoins de Armand de Bourdeaux, alors qu’il « augmente d’une grande contenance sa première donation à Brente. Sa femme Pétronille n’étant pas présente à l’acte, bien que mentionnée comme partie, quatre Templiers se rendirent à Bourdeaux pour le lui faire ratifier. Sur le conseil de Bertrand de Bourbouton, le commandeur de Richerenches offrit à Armand un cheval d’armes de cinq cents sous, et prit à sa charge une dette de trois cent dix sous, hypothéquée sur une vigne voisine des terres données ».
Le Prieur de Bollène, Berengarius de Bollène, est aussi nommé dans ce cartulaire. En effet, le marquis François de Ripert-Monclar (1844-1921) écrit : « La seigneurie supérieure de cette très ancienne petite ville appartenait au prieuré de Saint-Martin, de l’ordre de Saint-Benoît, dépendance de l’abbaye de l’IIe-Barbe. Mais elle devait, sous sa mouvance, être possédée en partie par une famille qui en portait le nom au XIIe siècle, et dont un des membres, Bérenger, était marié à Rixende de Visan, circonstance par suite de laquelle il est fréquemment nommé dans nos chartes. Il ne serait pas impossible que cette famille dût son nom a l’avouerie du prieuré. (…) Nous avons exposé ci-dessus les raisons qui nous portent à rattacher à cette famille l’illustre archevêque d’Arles, Raimond de Bollène, précédemment chanoine de la cathédrale de Nice ».
C’est Raimon de Bollène qui couronna l’empereur germanique et suzerain de la Provence, Frédéric Ier Barberouss le 31 juillet 1178 dans la basilique Saint-Trophime, en présence de tous les grands du royaume à l’exception toutefois du comte de Provence. Ce couronnement marque l’apogée de la puissance des archevêques d’Arles. Dans la continuité de la réforme grégorienne, Raimon de Bollène s’attache à féodaliser les liens qui unit l’archevêque et ses vassaux. Toutefois, cette féodalisation est encore limitée et semble s’accompagner d’augmentation de fief. C’est le cas manifeste vis-à-vis de la puissante famille des Baux. Et déjà en 1178 ou 1179, l’archevêque Raimon de Bollène avait dû donner Mornas et Mondragon en augment de fief à Raymond V pour obtenir son hommage pour la terre d’Argence. Après avoir participé au troisième concile du Latran (mars 1179), Raimon de Bollène meurt le 22 juin 1182. Il est enseveli dans le croisillon sud du transept de Saint-Trophime où son épitaphe se lit sur le mur sud.
Enfin, terminons cet exposé en mentionnant que le feuillet No. 93 du Cartulaire de Richerenches contient l’abandon que fait la famille Bollana aux Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon d’un pré relevant d’Armand de Bourdeaux dans les limites de sa donation.
« Faute de connaître tant de menus et prosaïques renseignements, on parle encore aujourd’hui sur les rives du lac de Genève, comme autrefois dans les forêts du Dauphiné, des légendes ténébreuses et mystérieuses de la famille de Bouillane. » [8]
Le 15 novembre 1994, Jacques Bouillanne écrivait dans la Gazette de l’Ours, No. 28 : « Dans notre cas, la légende s’est emparée de l’histoire et lui a volé un événement bien antérieur ».
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RÉFÉRENCES :
- Abbé Lebeuf, Histoire d’Auxerre, nouvelle édition, t. 1, p. 206.
- Léon Ménard, Histoire des antiquités de la ville de Nimes.
- Dom Devic et Dom Vaissete, Histoire générale de Languedoc, Édouard Privat, Libraire – Éditeur, Toulouse 1872, tomes 2 et 3.
- L’origine de la famille De Bouillanne [1ère partie].
- Bulletin de la Société départementale d’archéologie et statistiques de la Drôme, Tome XII, page 288, 1878.
- Histoire de Montélimar et des principales familles qui ont habité cette ville, Vol. 4, par le baron Adolphe de Coston.
- La Gazette de l’Ours, Pour en finir avec Louis XI, No. 28, novembre 1994.
- La France protestante, MM Eugène et Émile Haag, 1879. T. 2
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En tant qu’auteur et chroniqueur indépendant, Guy Boulianne est membre du réseau d’auteurs et d’éditeurs Authorsden aux États-Unis, de la Nonfiction Authors Association (NFAA), ainsi que de la Society of Professional Journalists (SPJ). Il adhère de ce fait à la Charte d’éthique mondiale des journalistes de la Fédération internationale des journalistes (FJI).