Jean Ier de Berry, dit Jean le Magnifique (30 novembre 1340 à Vincennes – 15 juin 1416 à Paris) est le troisième fils du roi de France, Jean II dit le Bon et de Bonne de Luxembourg. Il est apanagé comte-pair de Poitou en juin 1357 puis 1er duc Pair de Berry en octobre 1360 par son père. Après la défaite désastreuse de Poitiers, où son père Jean II le Bon est fait prisonnier. Il est donné en otage aux Anglais lorsque le roi revient en France (1360) et il reste prisonnier en Angleterre jusqu’en 1367. En 1369 il reçoit de son frère Charles V, les comtés d’Auvergne et de Boulogne, par spoliation de Jean II d’Auvergne, son futur-beau-père, le 6 novembre 1387, et du comté de Montpensier de 1404 à 1416.
Tant que son aîné le roi Charles le Sage vécut, Jean, comme ses deux frères Louis d’Anjou et Philippe de Bourgogne, demeura un soutien indéfectible de Charles et de sa politique audacieuse contre l’ennemi anglais. Il commanda l’armée Royale envoyée en Limousin, Poitou et Quercy. Il reprend aux Anglais les villes de Limoges, Poitiers et La Rochelle. Il se sentait plus proche de Charles que de ses autres frères : en effet, comme lui, il aimait les arts, la littérature, les beaux objets. Cependant, contrairement à Charles, Jean était plus un collectionneur qu’un créateur. On se souvient surtout de lui comme d’un très grand mécène.
Issu de la branche capétienne des Valois, le sang mérovingien coulait tout de même dans ses veines par la branche angevine. Il descendait aussi de Raimond-Bérenger IV de Provence de la Maison de Barcelone, une dynastie fondée par Wilfred le Velu, qui devint roi d’Aragon. Jean Ier de Berry decendait aussi de Blanche de Castille, petite-fille d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri II Plantagenêt. Aliénor d’Aquitaine est issue des comtes de Poitiers de la dynastie des Ramnulfides (dont est issue la branche de Lusignan) et des comtes de Toulouse. Elle est donc une descendante directe de Guilhem de Gellone († 812), grand-père de Bernard II Platevelue. Le sang mérovingien coulait donc dans les veines du duc de Berry.
Les Très Riches Heures du duc de Berry
Le duc de Berry commanda le livre d’heures aux frères Paul, Jean et Herman de Limbourg vers 1410-1411. Inachevé à la mort des trois peintres et de leur commanditaire en 1416, le manuscrit est probablement complété, dans certaines miniatures du calendrier, par un peintre anonyme dans les années 1440. Certains historiens de l’art y voient la main de Barthélemy d’Eyck. En 1485-1486, il est achevé dans son état actuel par le peintre Jean Colombe pour le compte du duc de Savoie. Acquis par le duc d’Aumale en 1856, il est toujours conservé dans son château de Chantilly, dont il ne peut sortir, en raison des conditions du legs du duc (cote Ms. 65).
L’ouvrage contient 206 feuillets, d’un format de 21 cm de largeur sur 29 cm de hauteur, répartis en 31 cahiers reliés. Les feuillets sont fabriqués à partir d’une feuille de vélin très fin pliée en deux, formant deux feuillets de quatre pages. Chaque cahier était sans doute formé, à l’origine de la constitution du livre, de quatre de ces feuillets doubles, soit seize pages. Seuls 20 des 31 cahiers suivent encore cette forme, les 11 autres ayant été réduits ou augmentés. Le manuscrit compte 66 grandes miniatures couvrant la totalité d’un feuillet ou ne laissant que trois à quatre lignes de texte et 65 petites, s’insérant dans une des deux colonnes de texte.
Le calendrier est sans doute l’ensemble de miniatures le plus célèbre du livre, si ce n’est de toutes les enluminures du Moyen Âge. Présent dans tous les livres d’heures, le calendrier permet au lecteur de repérer la prière correspondant au jour de l’année et à l’heure de la journée. Sont ainsi notés : le nombre de jours dans le mois solaire et lunaire, les jours et le saint qui leur correspondent, ainsi que les fêtes religieuses. De plus, la durée de chaque jour précise son nombre d’heures et de minutes. Il prend cependant ici une importance particulière : pour la première fois, il est illustré de miniatures de pleines pages. Par ailleurs, le calendrier inclut des données astronomiques qui atteignent un degré de précision jamais atteint jusqu’alors. Est indiqué notamment un nouveau nombre d’or, pour la première fois là-encore, servant au calcul des dates des nouvelles et pleines lunes. C’est en effet une des premières applications de la proposition de réforme du calendrier faite par Pierre d’Ailly qui préfigure le futur calendrier grégorien. Ces détails peuvent s’expliquer par l’intérêt porté par le commanditaire à l’observation des astres et à l’astrologie.
Chaque miniature est surmontée des signes zodiacaux correspondant au mois en cours, inscrits dans un demi-cercle. Ils sont entourés d’inscriptions astrologiques inscrites dans de petites cases, au-dessus et en dessous ; cependant quatre des miniatures (Janvier, Avril, Mai, Août) sont vierges d’inscription. Lorsqu’elles sont présentes, ces inscriptions contiennent elles-aussi des informations astronomiques très détaillées. Au centre de ce demi-cercle, est représenté à chaque fois le dieu Apollon dans son char. Cette représentation est en grande partie inspirée d’un revers d’une médaille byzantine acquise par le duc de Berry, mentionnée dans un de ses inventaires, et représentant l’empereur Héraclius dans un char semblable.
La peinture du mois de mars (folio 3) représente une scène de travaux agricoles. Chaque champ contient une étape différente des travaux, tous séparés par des chemins se croisant au niveau d’un édicule appelé montjoie. À l’arrière-plan figure le château de Lusignan (Poitou), propriété du duc de Berry qui l’a fait moderniser. On voit à droite de l’image, au-dessus de la tour poitevine, un dragon ailé représentant la fée Mélusine. En 1392, Jean d’Arras a composé pour Jean de Berry la Noble histoire de Lusignan, appelé aussi Roman de Mélusine, dans laquelle il raconte l’histoire de la fée, ancêtre « imaginaire » du duc. Selon la légende, Mélusine a donné naissance à la lignée des Lusignan et serait le bâtisseur de la forteresse. Épouse de Raymondin de Lusignan, elle lui a promis la richesse et le bonheur, à la condition qu’il ne la voit jamais le samedi, jour où son corps prend l’apparence d’un dragon. Un jour, Raymondin rompt le pacte et observe sa femme au bain. La fée s’enfuit alors en prenant la forme d’un dragon.
Le duc de Berry et le Secret du Roi Perdu
En tant que descendant des dynasties des Ramnulfides et des Wilhelmides, Jean Ier de Berry était très au fait du grand secret entourant le Roi Perdu, c’est-à-dire Ursus qui se rebella contre Louis II le Bègue en 877 aux côté de Wilfred le Velu et Bernard II Platevelue.
Ce n’est certainement pas un hasard si le gisant du duc se trouve sous la tour nord de la cathédrale Saint-Étienne de Bourges, c’est-à-dire sous le méridien qui pointe tout en haut vers le ciel. Primitivement élément central d’un tombeau ducal aujourd’hui détruit et dispersé, ce monument était visible dans l’ancienne Sainte Chapelle de Bourges. Sculptée dans un marbre blanc incrusté d’inclusions de roche noire, la statue du vieux duc est d’une finesse d’exécution remarquable. L’homme, couronné, est représenté tenant un phylactère, mains croisées sur le buste. Le visage est traité de manière réaliste, les traits du prince étant tout à fait reconnaissables, et comparables à d’autres supports artistiques, sculptés ou dessinés.
Or, les pieds du duc de Berry reposent sur un ours endormi et enchaîné, la tête ceinte d’un licol marqué de la fleur de Lys. Il s’agit de l’animal symbolique du duc, qui usait de la devise “Ursine, le temps venra”. La titulature complète du défunt est gravée sur les bords de la dalle sur laquelle repose la statue. Et que trouve-t-on en vis-à-vis du gisant du duc de Berry ? Rien de moins que la Mise au Tombeau, adossée au mur du fond de la crypte de la Cathédrale de Bourges. Il s’agit d’un groupe composé de 10 personnages entourant le corps du Christ supplicié, parmi lesquels on retrouve Joseph d’Arimathie, Nicodème, Marie mère de Jésus et Marie de Magdala.
Ne s’agirait-il pas plutôt ici, dans la signification ésotérique qui nous occupe, de la Sortie du Tombeau ? En effet, selon la Légende dorée (Jacques de Voragine, XIIIème siècle), vers l’an 45 une dizaine de disciples de Jésus fuyant la persécution d’Hérode Agrippa se rendirent à Joppé, où ils furent pris par des Juifs hostiles à leur foi. On les condamna à être jetés dans une barque sans voile ni rames, et abandonnés en pleine mer au large de la Palestine. Dans cette frêle embarcation se trouvaient plusieurs proches du Nazaréen, parmi lesquels Marie-Madeleine, Marthe sa soeur probable, Lazare leur frère, Marie Jacobé une soeur de la Vierge, Marie Salomé la mère de deux apôtres et un certain Maximin, notable de Béthanie.
Les occupants de la barque livrée au hasard des flots furent cependant sauvés par le souffle puissant d’un vent providentiel, qui les poussa jusqu’à la côte provençale de Camargue où ils accostèrent sans encombres ni pertes humaines. Ses occupants furent recueillis par des bergers, puis ils décidèrent de se séparer afin de prêcher l’évangile en des lieux différents du pays. Marie-Madeleine prêcha quelques temps à Marseille aux côtés de Lazare, puis elle se retira dans une grotte de la montagne Sainte-Baume où elle vécut encore trente ans. Elle mourut dans la plaine où elle était descendue à la rencontre de Maximin. Maximin fut le premier évêque d’Aix-en-Provence ; il éleva un oratoire en l’honneur de Marie-Madeleine à l’emplacement de sa mort et du futur village de Saint-Maximin.
Les autres passagers du navire ont également leurs destins, encore gravés dans la mémoire locale. Marthe s’installa à Tarascon où elle combattit avec succès la « Tarasque », un animal fabuleux qui dévorait ses habitants. Son frère Lazare serait devenu le premier évêque de Marseille, demeurant dans une grotte de la rive sud du lacydon jusqu’à ce qu’il soit arrêté, torturé et décapité. Enfin, les deux Marie Jacobé et Salomé seraient quant à elles demeurées en Camargue sur le site de l’actuel village des Saintes-Maries. De cette migration vers la Gaule et la Bretagne, prit souche la descendance du Christ, les Desposyni, de laquelle prit naissance le cycle arthurien des légendes du Saint-Graal.
Arthur, le temps viendra
Tel que mentionné précédemment, en tant que grand initié et ésotériste de premier plan, Jean Ier de Berry était très au fait du grand secret entourant le Roi Perdu, c’est-à-dire Ursus, lui dont la devise était “Ursine, le temps venra”. Il connaissait aussi très bien la situation géographique et la valeur hautement symbolique de la ville de Bourges. Il y consacra une large partie de son oeuvre de mécénat en faisant reconstruire le palais ducal dont il subsiste très peu de traces. Sur le modèle de la Sainte-Chapelle du Palais de la cité, il y fait édifier la Sainte-Chapelle de Bourges (1405), aujourd’hui détruite, pour bien montrer sa filiation avec le roi saint Louis. Il fait aménager le palais de Riom entre 1382 et 1389, notamment une grande salle ainsi qu’une Sainte-Chapelle, toujours subsistante.
Dans l’Antiquité, la ville se nommait Avaricum « le port sur l’Yèvre ». Elle était anciennement habitée par un peuple gaulois, les Bituriges Cubi. Le nom gallo-romain Bĭtǔrĭges a généré les toponymes Berry et Bourges, ainsi que le nom de leurs habitants respectifs, berrichon et berruyer. Il signifie « Rois du Monde » de bitu, « monde » et rix, « roi ».
À l’époque de la Gaule romaine, le territoire biturige correspond approximativement à l’ancienne province du Berry. La ville de Bourges se situe donc au centre géographique de l’Hexagone et nous avons déjà expliqué qu’elle constitue la capitale rayonnante de la France. Notons qu’avant de devenir roi de France, le Dauphin Charles (futur Charles VII) avait élu domicile à Bourges et avait fait frapper sa propre monnaie avec la mention : Kar, Francorum rex, Bitur (Charles, roi de France, Biturige).
Le duc de Berry savait pertinemment que le Roi Perdu, l’ours endormi, enchaîné et muselé, réapparaîtra un jour pour faire valoir sa valeur sur ses ancêtres, tel le Grand Monarque annoncé par Nostradamus et autres prophètes. Le franciscain R.P. Vincent n’écrivait-il pas en frontispice de son « Histoire fidelle de St Sigisbert, XII roy d’Austrasie et III du nom » : Il est au milieu de vous, et vous ne le connaissez pas (Medius vestrum stetit, quem vos nescitis).
Gérard de Sède écrivait en 1973 : « Ce sang dont ils ignoraient l’origine mais dont ils subissaient la fascination, ce sang dont ils ne purent jamais – et pour cause – se prévaloir, on comprend que des rois dont le trône reposait sur l’usurpation aient vécu dans la peur obsédante de le voir réapparaître en la personne d’un Roi Perdu ». Quelques jours après la publication du livre du franciscain de Nancy, Louis XIV le fit saisir et mettre au pilon. (La race fabuleuse, éd. J’ai Lu)