Voici un article de Noureddine Mhakkak à propos du recueil de poésie de Guy Boulianne, “Avant-propos d'un prince fou”, paru dans le journal Libération au Maroc le 13 avril 2007.
Parlons de la mère, cela nous mène à parler de la vie avec toutes ses richesses réelles et imaginées. Car la mère signifie « le réceptacle de la vie, la matrice dans laquelle fut conçu le monde animé, associée aux eaux originelles, la mère apparaît dans toujours les traditions et sous une grande multiplicité d’aspects, de la mère-vierge à la marâtre infâme. » selon Nadia Julien dans son dictionnaire des symboles et des mythes.
Alors comment voit et décrit le poète d’aujourd’hui le visage de sa mère ? Comment voit cet homme de lettres et d’art, cet homme d’imaginaire et des mots le visage de cette femme qui représente la source même de la vie ? Pour répondre à cette question poétique et anthropologique, on va étudier l’un de ces poètes modernes qui ont eu le courage de nous présenter ce visage sacré de leur mère à travers leur poésie. Je parle ici du poète canadien Guy Boulianne. Ce poète qui mérite d’être lu et relu, puisque sa la poésie est si riche et si profonde.
Dans son recueil de poèmes intitulé « Avant-propos d’un prince fou » le poète Guy Boulianne nous mène vers le monde symbolique de la femme, en tant que mère. Car le visage de la mère, pour lui et pour tous les poètes modernistes représente la source de la vie. Celui que l’on voit dès le début de nos jours dans cette terre, dès le commencement de notre vie. Celui que l’on voit dès que nos yeux voient ce monde là. Le premier visage qu’on aime trop, et qui reste durant toute notre vie, le visage de l’amour sacré. Et ainsi que chaque mère est une reine devant les yeux de son fils, et chaque fils est un prince devant les yeux de sa mère. Puisque la mère, selon toujours le même dictionnariste, est « le premier objet d’amour de l’enfant, la mère est aussi son premier idéal, conservé par la suite comme fondement inconscient de toutes les images de bonheur, de vérité, de beauté et de perfection … ».
C’est pour cela que l’absence de la mère ne mène ou ne menera qu’à la folie, dans son large sens, celui du manque de l’amour, de tendresse et du bonheur même. Et pour que notre vie continue son chemin normal et naturel, on essaye toujours de recréer ce visage absent de cette mère, de revivre avec lui à travers les souvenirs, les rêves et la poésie.
Ainsi on trouve que notre poète Guy Boulianne a envoyé des lettres à sa mère absente, à travers la poésie. Cette parole divine qui peut toucher les sentiments des gens, de toutes les gens dans le monde entier. Dans son premier poème intitulé « Tendre de mélodie » le poète Guy Boulianne nous parle d’une façon poétique pleine du chagrin, en commençant d’abord par des phrases poétiques qui représentent bien la fin de la partie, la fin d’une femme qui l’aime beaucoup, sans qu’il la définit exactement, est ce qu’elle est sa mère, est qu’elle est autre femme. Ce qui peut savoir son lecteur est que cette femme mérite bien d’être présente dans ce poème avec beaucoup de respect et beaucoup d’amour :
« Les rideaux se sont baissés,
La valse se termine
Sur des notes aigues,
La peine de mon cœur crie en myriades
Les souffrances de l’amour. »
Cette fin tragique décrit l’absence de l’être aimé, avec une tendresse si forte qui part du cœur, et qui bien sûr arrive juste au cœur de son lecteur. Car cette tendresse ne ment pas. Cette tendresse dit la vérité. Elle reconstruit le chagrin vécu, en lui donnant son visage humain. Celui qui nous fait penser à nous-mêmes, à nos souffrances, à nos douleurs à travers les souffrances et les douleurs du poète, lui-même.
L’absence de cette femme laisse un grande vide dans la vie du poète, car cette femme a représenté pour lui le sens de la vie, la source même de la vie :
« Ma seule femme,
Epouse de sang et de chair,
Unique source de vie. »
Le poète ici voit à travers le miroir de cette femme extraordinaire, tous les jours passants de sa vie, avec elle, les beaux jours, selon l’expression de Samuel Beckett. Cette femme prend le visage de la mère, soit était sa mère ou « Epouse de sang et de chair », car à travers ses yeux, il voit le monde. Et depuis toujours l’épouse est l’autre visage de la mère, selon Sigmund Freud. Lisons ces beaux vers poétiques qui ne peuvent appartenir qu’à la plume d’un grand poète :
« Je crois mourir de toi
Mon âme se meurt de toi
Mais de corps je ne périrai
Car je te dois mille et mille choses. »
poète ici dépasse l’ordinaire, puisqu’en adressant ainsi à cette femme absente, il essaye de la faire revivre, si ce n’est pas dans la réalité, car ce qui s’envole ne revient jamais, il la fait revivre à travers le rêve. Le rêve en plein soleil, le rêve en plein jour :
« Pour moi, ta valse continue
Et sans cesse je fredonnerai ta mélodie. »
Certes, le visage sacré de la femme est celui de la mer. Cette femme qui nous fait venir au monde. Cette femme que sans elle, dans un certain temps, de l’enfance, l’adolescence et même la jeunesse et après …, la vie devient dure, si dure. La vie devient un désert sans oasis. C’est pour ces raisons et plus que l’homme ne voit jamais dans ce monde là un autre visage plus beau que celui de sa mère, que celui de cette femme, réelle ou légendaire :
« Les montagnes sont hautes et grandioses
L’eau est claire et limpide
La terre est douce et chaude
Le ciel est large et éclatant
Les nuages sont blancs et resplendissants
Les oiseaux sont légers et majestueux
Mais ma mère,
Bien sûr,
Est la meilleure de toutes. »
Dans un autre poème intitulé « Tu n’y étais pas » le poète décrit le visage d’une femme absente avec beaucoup d’harmonie. Car le rythme poétique va prendre ici une mélodie basée sur la répétition de quelques phrases, mais en les déconstruisant de temps à autre, pour créer des nouvelles significations si riches et si diverses. C’est ainsi que le poète va à partir du fait de la recherche construire un univers poétique plein d’amour. Car on cherche que celle qu’on aime trop. Et bien sûr c’est le cas ici de notre poète qui est en train de chercher cet être :
« Je cherche toute la nuit
Et ne vois que des ombrages. »
Et l’absence de celle qu’on cherche, pousse cet amour vers l’infinité, vers les bords de la passion :
« Je t’ai cherchée dans le salon
…………………………………….
Tu n’ y étais pas »
Dans cet état d’âme, l’absence de l’être aimé ne mène que vers la peur. La peur de le perdre pour toujours :
« Je te cherche, je te cherche
Et te trouve point…
J’ai peur. »
Et malgré toutes ses souffrances, malgré cette absence effrayante, le poète ne veut que rester dans l’attente. Car il ne veut pas tuer l’espoir de revoir le visage de cette femme :
« Dis-le moi que tu es morte…
Je ne le crois pas. »
Dans un autre poème intitulé « Sans titre », le poète ne cesse pas de pleurer l’absence de sa mère. Cette mère qui était pour lui « le parfum de la rose », le sens de la vie que veut y vivre avec toutes ses richesses humaines. Ce qui le pousse à reconstruire cette vie à travers la poésie. C’est ainsi qu’il a essayé de retrouver le visage de cette mère à travers les mots :
« Souvenir -maman- souvenir
Et demain courir dans les près
Pétrir le destin en une séquelle
Trouver la route de ma peine.
Avenir, dicte-moi les lettres-les mots
Nourrir le pays de sang et de chair
Souvenir-maman je t’amie. »
Et dans ce fort poème intitulé tout simplement « Ma mer’ », notre poète décrit avec une grande maîtrise poétique cette relation remarquable avec le visage sacré de sa mère. Cette femme qui ressemble dans ses yeux, à la mer même, dans sa profonde, sa richesse, sa force et sa tendresse. Et puisque la mer représente la vie du monde, la mère aussi représente cette même vie dans les yeux de son enfant.
« Ma mèr’
Continue de vivre
Pour que longtemps je puisse naviguer
Sur la valse de tes vagues. »
Ainsi on trouve que le poète Guy Boulianne a réussi, comme tous les grands poètes, à décrire la relation avec la mère, à travers la construction des images poétiques si fortes et si profondes, et à travers une imagination poétique qui dépasse l’ordinaire et qui va vers le monde des symboles et des mythes pour créer un univers poétique éblouissant par sa beauté et sa richesse.
– Un article de Noureddine Mhakkak