Tout le monde connaît le film dramatique érotique et psychologique de Stanley Kubrick, “Eyes Wide Shut”, réalisé en 1999 et mettant en vedette Tom Cruise et Nicole Kidman dans les deux rôles principaux. Mais savons-nous qu’il était précédé par le film autrichien intitulé “Traumnovelle”, réalisé 30 ans plus tôt et adapté de la nouvelle “Histoire de rêve” (Traumnovelle) d’Arthur Schnitzler, publiée en 1926 ? Ce livre raconte l’histoire d’un médecin et de sa femme dans la banlieue viennoise. La nouvelle se déroule pendant le Carnaval, période où il est courant de porter des masques pour faire la fête. Pour son film, Kubrick a transposé l’histoire dans le Greenwich Village des années 1990 à New York.
Le chercheur Arthur Versluis note que Eyes Wide Shut représente une « gnose politique », qu’il décrit comme une « révélation : derrière la richesse et l’opulence d’une élite sociale américaine se cache une initiation à une société ou un réseau secret corrompu et corrupteur ». Il observe également que le film intègre des représentations de la traite des êtres humains à travers la description de jeunes femmes exploitées sexuellement par les riches et l’élite. Versluis note que ces thèmes ont alimenté des théories et des interprétations selon lesquelles le film révèle des activités clandestines au sein de sociétés secrètes, ajoutant : « Eyes Wide Shut est un point de référence pour la révélation que derrière les apparences de la haute société, de la célébrité, de la richesse et du pouvoir politique se cache une corruption diversement qualifiée de satanique, luciférienne, illuminati ou démoniaque ». Versluis estime que le titre du film joue sur l’idée de « voir ce qui est devant nous (les yeux grands ouverts) et pourtant de ne pas voir ». La scène centrale de l’orgie dans le film a suscité des parallèles chez certains critiques et spectateurs avec le Bal surréaliste de 1972 organisé par Marie-Hélène et Guy de Rothschild. Ce discours a été amplifié par le fait qu’une partie du film a été tournée à Mentmore Towers, une propriété ayant appartenu à la famille Rothschild.
Le téléfilm du cinéaste Wolfgang Glück, « Traumnovelle », est une adaptation plus fidèle que celle de Stanley Kubrick qui, comme l’œuvre originale d’Arthur Schnitzler, se déroule en Allemagne en 1920. Selon des sources non primaires, le film est sorti aux États-Unis et au Canada sous le titre « Dream Story ». Le court roman a aussi été adapté en Italie sous le titre Il cavaliere, la morte e il diavolo (1983), et dans le film à petit budget de Mario Bianchi, intitulé Nightmare in Venice (1989).
« Rêves et éveil, vérité et mensonges s’entremêlent. Nulle part n’est certaine la moindre certitude. » C’est par ces mots d’Arthur Schnitzler que s’ouvre le chef-d’œuvre télévisuel de Wolfgang Glück, un voyage sensuel et audacieux au cœur des désirs et des abîmes de la luxure d’un médecin viennois et de sa femme, jusque-là bien sous tous rapports. Une rencontre inattendue lors d’un bal masqué soulève la question du sens de l’existence. Le docteur Fridolin se retrouve plongé dans une longue nuit qui le mènera vers des prostituées, des Lolitas et une société secrète célébrant les orgies. Trente ans plus tard, Stanley Kubrick réalisera son succès commercial avec son adaptation cinématographique d’Eyes Wide Shut, largement inspirée de l’interprétation de Glück. Cependant, comparés à Cruise et Kidman, Erika Pluhar et Karlheinz Böhm offrent une bien meilleure interprétation de l’angoisse de l’engagement et de la sensualité débridée. « Sigmund Freud, figure emblématique. Un joyau intemporel. » ◾
➽ La nouvelle « Traumnovelle », d’Arthur Schnitzler (1926)
Rhapsodie : Roman onirique, également connu sous le titre “Histoire de rêve” (en allemand : “Traumnovelle”), est un court roman d’Arthur Schnitzler. Il fut d’abord publié en feuilleton dans le magazine de mode berlinois « Die Dame » entre décembre 1925 et mars 1926. La première édition en livre parut en 1926 aux éditions S. Fischer Verlag. Cet ouvrage appartient à la période du mouvement décadent viennois du début du XXe siècle. Né le 15 mai 1862 à Vienne, Empire autrichien et mort le 21 octobre 1931 dans la même ville, Arthur Schnitzler était un médecin, romancier et dramaturge autrichien. Il est considéré comme l’un des représentants les plus importants du modernisme viennois. Ses œuvres, qui comprennent des drames psychologiques et des récits, dissèquent la vie bourgeoise viennoise du début du XXe siècle, faisant de lui un chroniqueur perspicace et stylistiquement averti de la société viennoise autour de 1900. Son éducation juive et le contenu sexuel de ses œuvres leur valurent la controverse, voire la censure, de son vivant et par la suite.
La nouvelle d’Arthur Schnitzler relate les pensées et les transformations psychologiques du docteur Fridolin sur une période de deux jours, suite aux aveux de sa femme concernant des fantasmes sexuels impliquant un autre homme. Durant ce court laps de temps, il rencontre diverses personnes qui lui donnent des indices sur l’univers créé par Schnitzler. Le récit culmine avec le bal masqué, un événement où se mêlent identité dissimulée, sexualité et danger pour le docteur Fridolin, un marginal.
Le mystère de ce court roman réside dans le parcours initiatique de Fridolin, une plongée au cœur de sa propre psyché et des transformations qu’il engendre dans ses relations humaines. Il recèle une riche palette de métaphores et de symboles psychologiques, mais, dans la discussion finale, il révèle aux protagonistes la menace que représente l’inconscient pour leur relation et la manière de la surmonter.
Les deux personnages principaux de ce court roman sont Fridolin et Albertine. Mariés, ils semblent avoir entretenu une relation harmonieuse jusqu’à présent. Cependant, le roman laisse entrevoir que leur couple est menacé, car tous deux succombent aux tentations érotiques d’autres personnes qui hantent leurs pensées. Albertine représente la femme « typique » du début du XXe siècle. Mariée jeune, elle dut réprimer ses désirs pour rester vierge. Désormais plus âgée, elle perçoit son mariage précoce et la répression de sa sexualité comme la perte d’une vie pleinement vécue dans sa jeunesse. Elle tente de compenser cette privation par un rêve d’amour avec un inconnu. Elle adresse à plusieurs reprises des reproches à son mari qui, dans sa jeunesse, n’avait pas besoin de réprimer sa sexualité. Son rêve, où elle fait torturer son époux — qu’elle aime sans aucun doute — et assiste même à sa crucifixion avec un rire moqueur, peut ainsi être interprété comme une sorte de vengeance inconsciente pour le renoncement forcé à ses désirs, dont elle tient son mari pour responsable.
Au cours de ces deux nuits, Fridolin fait de nombreuses rencontres. Mais aucune de ces rencontres ne prend fin ; des questions restent sans réponse, comme le sort de Nightingale, l’évolution de la maladie de Mizzi ou la suite de l’histoire de la fille du loueur de costumes.
La nouvelle a d’abord été publiée dans la revue berlinoise « Die Dame », année 53, numéros 6 (décembre 1925) à 12 (mars 1926). La première édition reliée parut en 1926 aux éditions S. Fischer Verlag. L’éditeur Samuel Fischer avait initialement suggéré à Arthur Schnitzler d’intituler la nouvelle “Aucun rêve n’est entièrement un rêve”, mais l’auteur refusa. Schnitzler lui-même avait envisagé d’appeler son œuvre “Double Nouvelle” (sans doute en raison des deux rêves parallèles d’Albertine et de Fridolin, ou des deux niveaux d’inconscience et de conscience), mais rejeta finalement cette proposition.
Malgré des critiques positives, le roman court de Schnitzler, “Traumnovelle”, n’a pas connu le même succès que sa dernière œuvre majeure, le roman court de 1924, “Fräulein Else”. À partir des années 1920, il fut considéré comme un « poète d’un monde perdu ». Durant l’ère nazie, ses œuvres furent interdites. Les recherches universitaires sur son œuvre ne reprirent que dans les années 1960. Initialement, elles portèrent sur la forme artistique et le contexte historique de l’œuvre ; par la suite, des motifs et des aspects particuliers furent examinés plus en détail, et la conception moderne et singulière de la réalité propre à Schnitzler fut analysée.
En 2018, Katja Langenbach a adapté et réalisé la nouvelle “Traumnovelle” comme pièce radiophonique pour Bayerischer Rundfunk, avec Katja Bürkle, Shenja Lacher, Steven Scharf, Anna Drexler, Kathrin von Steinburg, Georgia Stahl, Aurel Manthei, René Dumont, Stefan Wilkening et d’autres. ◾
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En tant qu’auteur et chroniqueur indépendant, Guy Boulianne est membre du réseau d’auteurs et d’éditeurs AuthorsDen et de la Nonfiction Authors Association (NFAA) aux États-Unis. Il adhère à la Charte d’éthique mondiale des journalistes de la Fédération internationale des journalistes (FJI).






