L’Église plus rationnelle que Galilée : la position de Benoît XVI s’appuyait sur l’interprétation du philosophe des sciences Paul Feyerabend

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Voici ce qui pourrait être considéré comme étant une annexe à l’article du géologue Steven R. Webb que j’ai publié, intitulé “Martin Luther, Geocentrism, and the Bible vs. Science” (Martin Luther, le géocentrisme et la Bible contre la science), concernant le géocentrisme par rapport à l’héliocentrisme. Celui-ci écrit : « Au moins depuis Aristrarque, au troisième siècle avant J.-C., des théories ont été avancées selon lesquelles la Terre tournait autour du Soleil plutôt que l’inverse. Il n’y avait pas de télescopes vraiment utiles à l’époque, et cette réflexion était donc presque entièrement basée sur les mathématiques. Un cas mathématique a effectivement montré que le Soleil (et les étoiles et les planètes) pouvait tourner autour de la Terre, mais il s’agissait d’un modèle très compliqué. Il était beaucoup plus facile, mathématiquement parlant, de montrer que la Terre tournait autour du Soleil. (…) L’un des problèmes qui se posaient provenait du travail d’un clerc catholique du nom de Nicolas Copernic (1473-1543) au début des années 1500. Son travail, basé sur un modèle mathématique, postulait que la terre tournait autour du soleil de manière similaire à ce qu’Aristarque et d’autres avaient proposé auparavant. » Martin Luther (1483-1546), contemporain de Copernic, prit cette question au sérieux lorsque les théories de Copernic commencèrent à se répandre et à être de plus en plus acceptées. À cette époque, Luther avait publié ses 95 thèses et s’était séparé de l’Église catholique, mais sur ce sujet, Luther resta ferme aux côtés de l’Église, dénonçant complètement Copernic en 1539 avec les mots suivants :

« On parle d’un nouvel astrologue qui voudrait prouver que la terre tourne et tourne à la place du ciel, du soleil et de la lune, comme si quelqu’un se déplaçait dans une voiture ou un bateau et qu’il se tenait immobile et en repos, tandis que la terre et les arbres marchaient et se déplaçaient. Mais c’est ainsi que les choses se passent aujourd’hui : quand un homme veut être intelligent, il doit… inventer quelque chose de spécial, et la façon dont il le fait doit nécessairement être la meilleure ! Le fou veut renverser tout l’art de l’astronomie. Pourtant, comme nous le dit l’Écriture Sainte, Josué a ordonné au soleil de rester immobile et non à la terre. »

Pourtant, malgré les propos virulents de Luther et la position inflexible de l’Église, ce problème n’a pas disparu et est réapparu près d’un siècle plus tard avec les observations au télescope de Galilée qui ont conforté Copernic. « Comme la plupart d’entre nous s’en souviennent, Galilée a fini par devoir abjurer officiellement sa théorie pour sauver sa vie », écrit le géologue Steven R. Webb.

En janvier 2008, 67 professeurs de l‘université de Rome « La Sapienza », soutenus par des étudiants, s’en sont pris à Benoît XVI, au point que ce dernier dut renoncer à participer à la cérémonie d’inauguration de l’année universitaire à laquelle il avait été convié. Ces professeurs lui reprochaient sa position sur l’affaire Galilée telle qu’elle était apparue dans un discours prononcé par lui à la même université d’État italienne le 15 février 1990, dans lequel il s’appuyait sur l’interprétation du philosophe des sciences Paul Feyerabend jugeant la position de l’Église d’alors plus rationnelle que celle de Galilée. La reproduction complète du discours de Joseph Ratzinger n’a pas été retrouvée jusqu’à présent, mais un extrait de ses réflexions sur Galilée a été publié en 1992 dans son livre “Svolta per l’Europa? Chiesa e modernità in Europa” (version anglaise, pp. 95-98). Vous trouverez l’extrait de ce discours ci-dessous.

Certains ont également soutenu que Joseph Ratzinger avait mal interprété et donc utilisé la pensée de Paul Feyerabend de manière inappropriée, arguant que la déclaration citée était tirée d’un discours absurde du philosophe. Les doutes sur l’exactitude de l’interprétation de Ratzinger ont cependant été dissipés par Feyerabend lui-même, qui, le 12 mai 1990, a personnellement commenté le discours du cardinal dans une interview à l’hebdomadaire Il Sabato, déclarant que :

« Ma thèse a été présentée correctement. L’Église avait raison de dire que les scientifiques ne constituent pas l’autorité finale en matière scientifique. Nombreux sont aujourd’hui ceux qui s’accordent sur ce point. Il a été compris que les scientifiques ne sont compétents que dans des domaines restreints, qu’ils vont souvent au-delà de leur expertise et que, lorsqu’ils le font, leurs jugements sont contradictoires. »

Le monde catholique, en apprenant la nouvelle de l’annulation de la visite, a réagi avec indignation, parlant de « liberté d’expression refusée ». Le lendemain, les étudiants catholiques de Sapienza ont exprimé leur solidarité avec le Pape en participant à l’audience du mercredi. Tel qu’indiqué dans le quotidien Le Monde du 21 janvier 2008, le cardinal Camillo Ruini, alors vicaire de Rome, organisa l’Angélus réunissant 100 000 fidèles sur la place Saint-Pierre, une manifestation censée jouer un rôle de « réconciliation entre la ville de Rome et le Pape », au cours de laquelle des représentants de toutes les associations catholiques ainsi que les représentants politiques étaient présents. [Archive]


« La crise de la foi dans la science », écrit par le Cardinal Joseph Ratzinger

➦ Extraits du livre “Un tournant pour l’Europe ? : Diagnostics et pronostics sur la situation de l’Église et du monde”, publié en français en 1996.

Au cours de la dernière décennie, la résistance de la création à se laisser manipuler par l’homme est apparue comme un élément nouveau de la situation culturelle globale. La question des limites de la science et des critères qu’elle doit respecter est devenue incontournable. Ce qui me semble particulièrement emblématique de ce changement de climat intellectuel, c’est la manière différente dont est perçue l’affaire Galilée.

Cet épisode, peu pris en compte au XVIIIe siècle, fut élevé au rang de mythe des Lumières au siècle suivant. Galilée apparaît comme une victime de cet obscurantisme médiéval qui perdure dans l’Eglise. Le bien et le mal sont nettement distingués. D’un côté, on trouve l’Inquisition : un pouvoir qui incarne la superstition, adversaire de la liberté et de la conscience. De l’autre, il y a la science naturelle représentée par Galilée : la force du progrès et de la libération de l’humanité des chaînes de l’ignorance qui la maintenaient impuissante face à la nature. L’étoile de la modernité brille dans la nuit noire de l’obscurité médiévale.

Aujourd’hui, les choses ont changé.

Selon Bloch, le système héliocentrique – tout comme le géocentrique – repose sur des présupposés qui ne peuvent être démontrés empiriquement. Parmi ceux-ci, un rôle important est joué par l’affirmation de l’existence d’un espace absolu ; c’est une opinion qui, de toute façon, a été annulée par la théorie de la relativité. Bloch écrit, selon ses propres termes : « Du moment que, avec l’abolition du présupposé d’un espace vide et immobile, il ne se produit plus de mouvement vers quelque chose, mais seulement un mouvement relatif des corps entre eux, et que par conséquent la mesure de ce [mouvement] dépend dans une large mesure du choix d’un corps qui sert de point de référence, dans ce cas, n’est-ce pas seulement la complexité des calculs qui rend l’hypothèse [géocentrique] impraticable ? Alors comme aujourd’hui, on peut supposer la terre fixe et le soleil mobile. »

Curieusement, c’est précisément Bloch, avec son marxisme romantique, qui fut parmi les premiers à s’opposer ouvertement au mythe [de Galilée], en proposant une nouvelle interprétation de ce qui s’est passé : l’avantage du système héliocentrique sur le géocentrique, suggérait-il, ne consiste pas dans une plus grande correspondance avec la vérité objective, mais uniquement dans le fait qu’il nous offre une plus grande facilité de calcul. Jusqu’à présent, Bloch suit uniquement une conception moderne des sciences naturelles. Ce qui est surprenant, cependant, c’est la conclusion qu’il tire : « Une fois que la relativité du mouvement est tenue pour acquise, un système de référence humain et chrétien antique n’a pas le droit d’interférer dans les calculs astronomiques et leur simplification héliocentrique ; il a cependant le droit de rester fidèle à sa méthode de préservation de la terre par rapport à la dignité humaine, et d’ordonner le monde en fonction de ce qui arrivera et de ce qui s’est passé dans le monde. »

Si les deux sphères de la conscience sont à nouveau clairement distinguées entre elles sous leurs profils méthodologiques respectifs, reconnaissant à la fois leurs limites et leurs droits respectifs, alors le jugement synthétique du philosophe agnostique-sceptique Paul Feyerabend apparaît beaucoup plus drastique. Il écrit : « L’Église de l’époque de Galilée était beaucoup plus fidèle à la raison que Galilée lui-même, et prenait également en considération les conséquences éthiques et sociales de la doctrine de Galilée. Son verdict contre Galilée était rationnel et juste, et le révisionnisme ne peut être légitimé que pour des motifs d’opportunisme politique. »

Du point de vue des conséquences concrètes du tournant que représente Galilée, Carl Friedrich Freiherr von Weizsäcker fait cependant un pas de plus en avant, lorsqu’il identifie un « chemin très direct » qui mène de Galilée à la bombe atomique.

A ma grande surprise, dans une récente interview sur l’affaire Galilée, on ne m’a pas posé la question : « Pourquoi l’Eglise a-t-elle essayé de faire obstacle au développement de la science moderne ? », mais exactement le contraire, c’est-à-dire : « Pourquoi l’Eglise n’a-t-elle pas pris une position plus claire contre les désastres qui allaient inévitablement suivre, une fois que Galilée eut ouvert la boîte de Pandore ? »

Il serait absurde de construire, à partir de ces affirmations, une apologétique hâtive. La foi ne naît pas du ressentiment et du rejet de la rationalité, mais de son affirmation fondamentale et de son inscription dans une forme encore plus grande de la raison…

J’ai voulu ici rappeler un cas symptomatique qui illustre à quel point les doutes de la modernité sur elle-même se sont accrus aujourd’hui dans les sciences et les techniques.


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Guy Paradis
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