Mathieu Jacques : PRO VICTIS, la terre « pour les vaincus ». Pourrait-on modifier cette locution pour mieux refléter la vraie nature du Québec ?

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Les provinces romaines (latin : provincia, pl. provinciae) étaient les régions administratives de la Rome antique en dehors de l’Italie romaine qui étaient contrôlées par les Romains sous la République romaine et plus tard sous l’Empire romain. Chaque province était gouvernée par un Romain nommé gouverneur. Pendant des siècles, elle fut la plus grande unité administrative des possessions étrangères de la Rome antique. Avec la réforme administrative initiée par Dioclétien, elle est devenue une subdivision administrative de troisième niveau de l’Empire romain, ou plutôt une subdivision des diocèses impériaux (à leur tour subdivisions des préfectures impériales).

Une province était la base et, jusqu’à la Tétrarchie (à partir de 293 après JC), la plus grande unité territoriale et administrative des possessions territoriales de l’empire en dehors de l’Italie romaine. Durant la république et le début de l’empire, les provinces étaient généralement gouvernées par des hommes politiques de rang sénatorial, généralement d’anciens consuls ou d’anciens préteurs. Une exception ultérieure fut la province d’Égypte, qui fut constituée par Auguste après la mort de Cléopâtre et dirigée par un gouverneur de rang uniquement équestre, peut-être pour décourager l’ambition sénatoriale. Cette exception était unique mais non contraire au droit romain, dans la mesure où l’Égypte était considérée comme la propriété personnelle d’Auguste, suivant la tradition des rois de la période hellénistique antérieure.

Le terme province a depuis été adopté par de nombreux pays. Dans certains pays sans véritables provinces, « les provinces » est un terme métaphorique signifiant « en dehors de la capitale ». Alors que certaines provinces ont été créées artificiellement par les puissances coloniales, d’autres se sont formées autour de groupes locaux dotés de leurs propres identités ethniques. Beaucoup disposent de leurs propres pouvoirs, indépendants de l’autorité centrale ou fédérale, notamment au Canada et au Pakistan. Dans d’autres pays, comme la Chine ou la France, les provinces sont la création d’un gouvernement central, avec très peu d’autonomie.

Étymologiquement, le mot « province » dérive du latin provincia, du préfixe pro– (« pour ») et du radical vincire (« conquérir ») ou victis (« vaincu »). Le mot « province » signifie donc « pour les conquis » ou bien « pour les vaincus ». Dans ce contexte, l’avocat Mathieu Jacques se demande si nous ne pourrions pas faire un changement toponymique qui refléterait mieux la nature de ce qu’est le Québec. Je partage donc avec vous une chronique d’opinion qu’il a publié le 5 novembre 2015 dans le quotidien Le Devoir.

➽ Pourquoi s’appeler encore une province ?

Par Mathieu Jacques, le 5 novembre 2015

Avocat plaidant à la direction du Procureur général du Québec au Ministère de la Justice du Québec.

Le mot province vient du latin pro victis, qui signifie «territoire des vaincus». La question qu’on peut se poser est : pourquoi le Québec conserve-t-il un nom si péjoratif alors qu’il pourrait faire un changement toponymique qui refléterait mieux la nature de ce qu’il est ? Qu’on soit fédéraliste ou souverainiste, du moment qu’on est de bonne foi, force est d’admettre que le Québec est un État et qu’en ce moment, celui-ci est membre à part entière d’une fédération. Plutôt que d’arborer le titre de province, ne serait-il pas mieux que le Québec se nomme l’État fédéré du Québec ?

Les membres constituant une fédération ou les régions d’un État ne sont nullement obligés de porter la même appellation. Il y a eu en Ukraine avant la guerre une république autonome de Crimée, alors que la plupart des autres régions de l’Ukraine se nommaient des oblasts.

Il s’agirait d’un geste d’affirmation raisonnable et logique compte tenu de la nature unique du Québec au sein de la fédération canadienne. Également, comme le Québec est un des rares États fédérés à agir activement sur la scène internationale, ce changement de nom permettrait de mieux clarifier ce que nous sommes par rapport à nos partenaires internationaux. En effet, il est plus intéressant d’établir des partenariats avec un État fédéré qu’avec une province. Le concept de fédéralisme est largement connu et on sait que les membres des entités fédératives possèdent de hauts niveaux d’autonomie. Néanmoins, une province est généralement fortement soumise à l’État central, et pour l’illustrer, nous n’avons qu’à penser aux provinces françaises. Le terme province ne rend pas du tout justice à ce que nous sommes dans les faits. Les gestes sont importants. Dans une ère caractérisée par l’apathie et le cynisme, on n’ose pas poser de gestes forts d’affirmation. Pourtant, le Québec n’a pas à avoir honte de ce qu’il est et son statut devrait se refléter clairement dans son nom.

De plus, ce type d’amendement constitutionnel ne nécessite en aucun cas l’accord des autres provinces, ce qui est en soi une très bonne chose. En effet, en 2001, Terre-Neuve changea de nom pour Terre-Neuve-et-Labrador et personne ne pouvait s’opposer à ce changement toponymique du moment que la province et le fédéral parvenaient à un accord. Le Québec est libre de décider la manière dont il souhaite se nommer. Il serait extrêmement difficile sur le plan politique, pour le gouvernement fédéral, voire impossible, de refuser au Québec le droit de changer son nom.

On pourrait me rétorquer que ce changement est inutile et serait un gaspillage de fonds publics. Je répondrais qu’il s’agit d’une position à courte vue. Les symboles sont importants pour tout peuple. Oui, il y a eu la conquête, oui, le chemin que nous avons parcouru ensemble au Canada n’est pas parfait, mais force tout de même l’admiration : plus de 250 ans après notre conquête, nous parlons toujours notre langue. Cessons définitivement de porter collectivement une toponymie de vaincus. ■


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Jean-Marie Picard
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