Des nouvelles du général Dominique Delawarde — Lettres ouvertes de deux officiers généraux allemands sur l’affaire des chars lourds

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Le 1er février 2023, j’ai reçu un message par courriel du général Dominique Delawarde me faisant part de deux textes originaux signés par des officiers généraux allemands qui lui ont été communiquées par un officier général français. Ces lettres ouvertes montrent que l’unanimité est loin d’être acquise dans les rangs de l’OTAN, pour une croisade russophobe menée pour les seuls intérêts des États-Unis. Les arguments avancés par ces officiers généraux allemands sont à peu près les mêmes que les nôtres. Le second va même jusqu’à appeler à des manifestations de rue. Comme l’écrit le général Delawarde, « des officiers généraux allemands s’y mettent aussi alors qu’il n’a jamais été dans leurs habitudes de protester ». Il ajoute : « Après avoir pris connaissance de textes équivalents provenant des USA et de la République Tchèque, je suis preneur de tous les textes émanant d’autres pays de l’OTAN et signés par leurs auteurs, si ces derniers ont exercé des responsabilités militaires importantes lors de la guerre froide ou après. »

Ancien élève de l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr, le général Delawarde a fait l’essentiel de sa carrière dans les chasseurs alpins et la Légion étrangère. Il a gravi tous les échelons de l’armé française avant de finir le chef du bureau situation-renseignement-guerre électronique de l’état-major interarmes de planification opérationnelle. Il est aussi un spécialiste de la gestion et de la formation des personnels, qui a tenu un poste important de responsable des officiers de liaison français aux États-Unis, pays dans lequel il vit une partie de l’année depuis son départ du service actif. Le général Delawarde était à Sarajevo, au plus fort de la crise balkanique, durant l’hiver 1994-1995, alors qu’à la tête du 7e bataillon de chasseurs alpins il devait garantir un cordon ombilical vital à la ville assiégée en tenant le mont Igman. Le Général écrit de nombreuses analyses reprises par différent sites internet d’information. Au sein de ce comité de réflexion, il apporte son expertise du renseignement et des opérations militaires. Le Général Delawarde est Commandeur de l’Ordre national du Mérite. Il est aussi membre du Collectif pour la Paix au Kosovo. Voici ce qu’il écrivait dans son message :

Le 31 janvier 2023

Bonjour à tous,

Un de mes correspondants en Allemagne m'a fait parvenir ces deux appels/lettres ouvertes publiées par les généraux à la retraite : Lieutenant-Général Manfred Grätz (ex RDA) et Major-General Sebald Daum, à leur demande pour info et diffusion dans mes "cercles et réseaux" si je le souhaitais (Manfred Grätz était autrefois tombé sur la lettre ouverte à Stoltenberg en 2021 et m'avait contacté pour demander le feu vert à sa diffusion en Allemagne, et nous avions donc échangé quelques mails à cette occasion, et c'est pourquoi, je pense, il tente cette bouteille à la mer vers nous). Je vous les transmets donc en PJ, avec pour chacune la traduction en français, sous leurs signatures et avec leurs autorisations expresses.

Il est intéressant de noter qu'ils sont "vent de bout" contre cette livraison, et avec d'excellents arguments car ils savent de quoi ils parlent quand il s'agit de chars allemands en ex URSS (Koursk, Orel...). J'ajoute que Grätz, comme ancien Général de la Volksarmee de la RDA communiste, connaît évidemment très bien les Russes. S'agissant de Daum, je n'ai pas trouvé son profil, et ne le connais pas. Apparemment certains "grands anciens" allemands ne sont pas tous aveuglément sur la ligne Scholtz, ..... un peu comme chez nous. Bizarre non ?

Bonne lecture,

Amicalement,
Général Dominique Delawarde

Protestation contre la poursuite du soutien à l’Ukraine avec des chars et d’autres équipements de guerre lourds par l’Allemagne

Par Sebald Daum, major général à la retraite

Avec la décision du chancelier de la République fédérale d’Allemagne, M. Scholz, et de son gouvernement de livrer finalement 14 chars « Leopard-2 » à l’Ukraine et d’autoriser les autres pays de l’OTAN à mettre également ces chars Leopard à la disposition de l’Ukraine, l’Allemagne entre dans une nouvelle phase de participation à la guerre contre la Russie et concrétise ainsi la déclaration de sa ministre des Affaires étrangères d’être en guerre avec la Russie. Par cette décision, l’Allemagne ne fait pas que prolonger l’hécatombe en Ukraine, elle devient partie prenante à la guerre. Dans le même temps, la Russie devient de plus en plus l’ennemi du peuple allemand et on détruit définitivement tout ce qui était important dans les relations amicales avec la Russie, en particulier à l’Est ainsi qu’en RFA dans son ensemble.

Je voudrais donc simplement rappeler quelques faits importants :

  • que l’Union soviétique a pris la plus grande part dans la libération du peuple allemand du fascisme hitlérien, avec plus de 27 millions de morts,
  • qu’après 1945, l’Armée rouge et le peuple soviétique ne se sont pas rendus coup pour coup et n’ont pas couvert l’Allemagne de haine, comme c’est à nouveau le cas actuellement en Allemagne contre la Russie,
  • que l’Union soviétique et la Russie ont joué un rôle décisif dans la réunification de l’Allemagne, car sans leur accord, il n’y aurait pas eu de « patrie allemande unie »,
  • que la Russie a volontairement retiré ses troupes d’occupation, en toute bonne foi, dans le cadre de bonnes relations de voisinage, alors que les troupes d’occupation américaines sont toujours présentes dans le pays,
  • que la Russie a accepté que l’Allemagne ne soit pas neutre, mais reste dans l’OTAN,
  • que ce n’est pas la Russie qui s’est rapprochée des frontières de l’Allemagne ou de l’UE, mais que les troupes de l’OTAN se trouvent aujourd’hui aux frontières de la Russie,
  • et enfin, il convient de rappeler que ce sont les États-Unis et l’OTAN qui ont organisé un coup d’État en Ukraine en 2014, chassé le président élu hors du pays et armé militairement l’Ukraine et l’ont mise en position contre la Russie afin qu’elle puisse mener et mène une guerre contre son propre peuple pendant 8 ans.

A-t-on oublié tout cela, est-ce que c’est maintenant le remerciement pour tout ce que l’Union soviétique et la Russie ont fait pour l’Allemagne, ou sommes-nous déjà prêts à entrer en guerre une troisième fois contre la Russie ? Les chars allemands « Leopard » doivent-ils rouler contre la Russie comme les « Tigres » allemands autrefois ? A-t-on oublié si vite les résultats de Stalingrad et de Koursk, ou veut-on revenir sur ces défaites ?

Jamais plus la guerre n’était une loi non écrite en Allemagne. Plus jamais la haine et les cris de guerre contre la Russie ne doivent donc prendre le dessus en Allemagne, plus jamais les cris de « voulez-vous la guerre totale » ne doivent nous monter contre les peuples de Russie.

C’est pourquoi j’élève ma voix pour protester contre la livraison par l’Allemagne de chars et d’autres équipements de guerre lourds qui prolongent la guerre et les massacres en Ukraine. Que les voix de la raison l’emportent et que d’innombrables personnes contribuent dans ce sens à empêcher la guerre.


Les chars allemands contre la Russie — révolte de ma conscience —

Par Manfred Grätz, général de corps d’armée à la retraite

C’est à nouveau le moment. Redoutée par un nombre incalculable de personnes, souhaitée et évoquée par une minorité oublieuse de l’histoire ou la méprisant avec arrogance, qui se sent appelée à gouverner notre pays et suit avec vassalité l’allié transatlantique, soutenue avec zèle par un paysage médiatique aligné une fois de plus, et désormais annoncée officiellement par le chancelier fédéral. L’envoi de chars à l’Est est décidé. Les cheveux de nombreuses personnes se hérissent, de mauvais souvenirs se réveillent, y compris chez moi. A l’époque, il s’agissait encore de souvenirs d’enfance.

Né en 1935, je suis ou j’étais en fait encore un enfant de la Seconde Guerre mondiale. Trop jeune pour être déjà utilisé pour la course aux armements du fascisme allemand, mais assez âgé pour comprendre que la guerre ne signifie que souffrance incommensurable, misère et extermination inhumaine. J’ai perdu mon père. Une lettre froide et sans cœur de son chef de compagnie annonçait qu’il était apparemment « tombé pour le Führer, le peuple et la patrie dans des combats défensifs héroïques contre l’ennemi bolchevique… ».

Occasionnellement, des souvenirs surgissent de manière fulgurante, comme lorsque nous étions des garçons adolescents assis au bord de la voie ferrée et que nous regardions les nombreux transports militaires, avec des inscriptions blanches géantes : « Les roues doivent rouler pour la victoire ». Aujourd’hui, on peut lire : « Les chars allemands en direction de la Russie ». Les parallèles, les similitudes sont sans doute faciles à reconnaître. Les nuits de bombardement, les alertes aériennes, la ville de Chemnitz en flammes non loin de mon village, tout cela a contribué à ce que j’apprenne dès mon enfance à détester la guerre et à désirer la paix. J’ai finalement vécu la fin de la guerre comme la libération de l’Allemagne du fascisme par l’armée soviétique.

Près de huit décennies se sont écoulées depuis ces événements. Le jeune garçon de l’époque est devenu un homme de 88 ans, qui a vécu une vie bien remplie à une époque riche en événements historiques.

38 années de service pour le maintien de la paix dans notre armée nationale populaire, dont six années d’études au SU, en font partie. Je l’avoue volontiers, j’aime ce pays, tout en sachant que la Russie d’aujourd’hui n’est plus comparable à la SU. Mais les gens dont les pères et les grands-pères ont combattu pour leur patrie contre le fascisme allemand et nous ont également libérés, sont restés. Des gens chaleureux et aimables, des amis !

Tout cela et bien d’autres choses encore me viennent à l’esprit dans le contexte de tout ce qui se passe actuellement. L’esprit est toujours en éveil, même après 88 ans.

C’est tout un mélange de sentiments et de sensations qui m’émeut, dominé par la colère et la déception. La colère monte en moi lorsque je suis confronté à l’attribution unilatérale de la responsabilité à la Russie, généralement à Poutine, à Poutine l’agresseur, à Poutine le criminel de guerre, sans aucun fondement. Poutine est responsable de tout ce qui se passe actuellement dans le monde. Oublié ou sciemment passé sous silence tout l’historique de la guerre en Ukraine, oublié le manquement de l’Occident à sa parole concernant l’élargissement de l’OTAN à l’Est, oublié le discours de Poutine devant le Bundestag en 2001, dans lequel il tendait la main, proposait une coopération pacifique et était ensuite accueilli par une standing ovation, oublié également le discours prononcé lors de la conférence sur la sécurité de Munich en 2007, dans lequel il évoquait l’élargissement de l’OTAN à l’Est comme une menace pour les intérêts de sécurité de la Russie.

La colère monte lorsque Mme Baerbock, après tout ministre des Affaires étrangères de notre pays et diplomate au plus haut niveau, lance, sans se douter de rien et sans aucune habileté diplomatique ni même de décence, « nous allons ruiner la Russie ».

Au même niveau se trouve le bavardage fréquent sur la question de savoir si nous sommes déjà belligérants ou non, en donnant souvent l’impression de chercher et de sonder si nous ne pouvons pas faire un pas de plus ou non. Pour moi, c’est de l’art sans pain. Les fronts sont clairs depuis longtemps. Nous sommes en plein dedans. Que faudrait-il faire de plus quand on a déjà livré des chars et d’autres armes lourdes dans le « noble » but de vaincre la Russie ?

Il est également dangereux de voir des hommes politiques et des soi-disant experts évoquer le thème de l’escalade, peut-être avec des armes nucléaires, avec des « petites tactiques » d’abord, dans des talk-shows ou à d’autres occasions, sans se douter de rien et de manière imprudente. Oubliées déjà Hiroshima et Nagasaki, ces deux villes japonaises victimes du premier largage de bombe atomique sur un territoire habité, sans aucune nécessité militaire. A ce moment-là, la Seconde Guerre mondiale était décidée depuis longtemps, en Europe comme en Extrême-Orient. Et comme chacun sait, ce n’étaient pas les Russes ! Oubliées toutes les souffrances et la misère, tous les morts qui se comptent par dizaines de milliers, et les effets à long terme que ces « deux petits calibres » ont provoqués pendant des décennies, selon les critères actuels. Inimaginable et irresponsable de jouer ainsi avec le feu dans le présent ! En tant qu’ancien militaire, je dis à tous ceux qui ne font que penser à une telle aventure : crime de guerre !

À propos de crimes de guerre ! Quelqu’un en parle-t-il encore à propos d’Hiroshima et de Nagasaki ? On a oublié ! Classé, le plus grand crime de guerre de l’histoire de l’humanité, commis par les États-Unis.

Je trouve non seulement regrettable, mais aussi inquiétant que nos politiciens, qui ont des responsabilités gouvernementales, soient également réfractaires à la consultation. Je pense ici au fait que l’opinion de militaires expérimentés, spécialistes de leur métier, est de plus en plus reléguée au second plan, ou plutôt piétinée, et qu’elle n’est plus perceptible par le public. Ne faut-il pas s’inquiéter lorsqu’un général Kujath, excellent connaisseur de la matière, y compris et surtout de l’OTAN, doit présenter ses appréciations remarquablement réelles de la situation dans un journal suisse ? Ou lorsqu’un général Vad, ancien conseiller militaire de Mme Merkel, s’exprime dans le journal EMMA d’Alice Schwarzer (ne vous méprenez pas, respect pour Mme Schwarzer !).

Ou lorsque même le chef d’état-major de l’armée américaine, le général Milley, s’est fait réprimander par l’administration Biden pour son évaluation réelle de la situation en Ukraine et que ses conclusions sont passées sous silence ?

Je ne veux même pas parler ici d’autres militaires, voire d’anciens de l’ANV, qui pourraient bien connaître les Russes !

Tout cela selon la devise « ce qui ne peut pas être ne doit pas être ». Il n’en reste pas moins qu’avec la vassalité allemande, nous suivons fidèlement la politique de guerre des États-Unis, notre principal allié transatlantique, qui vise à la domination mondiale. Quo vadis, l’Allemagne ? Je me pose la question. Ou pour paraphraser Heinrich Heine : « Si je pense à l’Allemagne la nuit, j’en perdrai le sommeil ! »

Encore un mot à tous les membres et sympathisants de notre association, à mes camarades et amis.

Élevez la voix, ne vous cachez pas.

Écrivez, sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit, et n’oubliez pas votre nom et votre grade.

Cherchez et trouvez nos alliés, participez aussi à leurs manifestations.

Ensemble, nous sommes plus forts.

Descendez dans la rue, si vous êtes encore en forme et mobiles. Parlez avec les gens, malgré les intérêts divergents qui y sont représentés.

Personne ne veut la guerre parmi les manifestants.

Tout cela, c’est ma conscience qui me le dit. S’il vous plaît, examinez aussi la vôtre.


Solange van der Stock
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