PAR GUY BOULIANNE — Je me suis offert un superbe cadeau dont je rêvais depuis près de vingt ans. J’ai enfin acheté le livre très important, intitulé: « Jewish Princedom in Feudal France, 768-900 » (Study in Jewish History), par Arthur J. Zuckerman (Le royaume juif dans la France féodale, 768-900). Ce livre de 432 pages, assez rare, peut coûter jusqu’à $270 sur le marché (évidemment, j’ai payé le livre beaucoup moins cher que le prix ci-haut).
Publié en 1972 par les presses de l’Université de Columbia de New York – l’une des plus prestigieuses universités nord-américaine – ce livre fait l’historique de ce qu’on peut appeler le royaume juif de Septimanie (dans le sud de la France) aux 8e et 9e siècles, et de l’Exilarquat de Babylone incluant Makhir ben Habibaï (Theodoric IV de Narbonne / Thierry Ier d’Autun) et ses descendants. À mes yeux, ce livre est crucial au niveau historique, puisqu’il rend compte d’une vérité souvent non-dite dans les manuels scolaires modernes. Il avait été jugé digne d’un article du Journal of the American Oriental Society en 1977. [1] Patric Choffrut écrivait :
« Il y eut des juifs en Ibérie dès avant la naissance du christianisme, et leurs conditions d’existence varièrent selon les autorités de l’époque et les zones considérées. Leur condition d’exilés a toujours imposé aux communautés juives de s’adapter au terrain. Vers la fin du premier millénaire de l’Ère Commune la péninsule ibérique reposait sur deux civilisations – l’une arabe, qui refluait lentement vers le sud selon les événements de la Reconquista, avec parfois des épisodes de rigidité musulmane envers les dhimmis, et l’autre catholique, qui n’était pas d’emblée anti-judaïque, comme en témoignent les nombreux personnages juifs qui fréquentaient la cour de Castille.
« Mais il me semble juste de parler d’une communauté tampon entre les juifs séfarades et les juifs ashkénazes qu’on retrouve en Francie et dans les zones mixtes de Lorraine/Rhénanie : les « juifs de Provence » comme on les appelle communément, de Catalogne au Languedoc et à la Provence de Gérone à Narbonne, de Perpignan à Lunel, Bagnols sur Cèze, Montpellier, Nîmes, Arles, Marseille, Aix-en Provence, et jusqu’à Digne et Marvéjols, sous la conduite des « sages de Provence », les Hachmei Provence.
« Il semble qu’ils n’aient pas spécialement eu à souffrir des chefs musulmans, qui tinrent Narbonne pendant plus de 40 ans (714-759), mais ils aidèrent pourtant à la reddition de la ville, assiégée par les Francs de Pépin le Bref. La ville fut confiée à des vicomtes, et en échange de leur aide, Pépin nomma premier Nasir (=patriarche) un dénommé Makhir/Maghario. Il semblerait que Pépin reçut Makhir dans la noblesse franque et l’adouba avec le nom distinctif de Théodoric. Les lois carolingiennes accordèrent à Makhir-Théodoric une propriété terrienne en libre aloi, incluant d’anciens biens ecclésiastiques, situés en Septimanie et dans le Toulousain, et étendus à d’autres en Espagne. Par acte d’ordonnance, Makhir-Théodoric devint vassal des Carolingiens et, en retour, assuma la suzeraineté des Juifs. L’armoirie de ce prince était le Lion de Juda. A noter que le golfe qui borde la Septimanie de nos jours encore s’appelle « le golfe du Lion ». C’est là l’origine du mythe du « royaume juif » en Europe méridionale. » [2]
Voici ce qu’écrit maintenant Lee Levin à propos du livre d’Arthur J. Zuckerman : « De temps à autres, on nous présente des récits d’obscures communautés juives dans des lieux bizarres et inattendus, comme la Chine, l’Inde, ou l’Afghanistan. Mais leur seul point d’intérêt est simplement d’exister, ou d’avoir existé. Or le royaume juif de Septimanie n’était rien de tout cela. Il était vaste, et comprenait les importantes villes de Narbonne, de Toulouse et de Carcassonne, et il ne se contenta pas d’exister. Il joua un rôle majeur dans l’histoire de la France médiévale.
« Makhir s’avéra être un roi guerrier de grande valeur, il combattit avec Charlemagne, et ce faisant il quadrupla la superficie de la Septimanie, lui donnant ainsi une existence respectable. Il n’y a aucun doute qu’il dut en grande partie son succès au fait d’être reconnu comme Messie par ses sujets juifs qui se battirent vaillamment sous son étendard – le lion de Juda – et qu’il vola de victoire en victoire jusqu’en 793 EC où Makhir tomba à l’occasion d’une escarmouche de second ordre sur les rives de la Weser en Pannonie. Les rois qui succédèrent à Makhir jouèrent un rôle important dans l’histoire de la France, les frontières de la Septimanie se déplacèrent sans arrêt, selon les aléas des combats et des alliances. Le royaume de Septimanie disparut au terme de 140 ans, avec la mort du dernier roi de la dynastie de Makhir, qui n’eut pas d’héritier mâle. » [3]
La Communauté Juive sous le règne des Vicomtes
Il y avait à Narbonne environ 2000 Juifs, établis dans deux quartiers de la Cité ; celui de Belvèze, dans la juridiction épiscopale juiverie archiépiscopale et celui des Juiveries-Mages dans la juridiction vicomtale juiverie vicomtale. Ils étaient les intermédiaires entre l’Orient et l’Occident. Leur organisation économique et politique, entièrement autonome, avait comme chef suprême un Naci (un prince) héréditaire. Le voyageur et rabbin juif Benjamin de Tudèle, visitant les communautés juives de la Méditerranée vers 1165, mentionne ainsi celle de Narbonne: « Narbonne est une ville des plus célèbres par rapport à la Loi. C’est d’elle que la Loi s’est répandue dans toutes ces contrées. On y voit des sages et des princes très célèbres à la tête desquels il faut compter le rabbin Kalonyme, fils du grand prince Théodore, d’heureuse mémoire, qui est nommé dans sa généalogie parmi ceux qui sont de la postérité de David ».
L’académie juive de Narbonne avait eu des théologiens et des grammairiens illustres, parmi lesquels : Joseph Kimchi et ses deux fils David et Moïse, vers la fin du XII° siècle, tous trois nés à Narbonne. Les richesses intellectuelles des Juifs allaient de pair avec leurs richesses matérielles. Le peuple et le pouvoir éprouvèrent toujours à leur égard un ressentiment, inspiré sans doute par la convoitise mais justifié par la certitude que les fortunes des Juifs étaient amassées aux dépens de leurs contemporains. Ainsi s’expliquent les confiscations périodiques. Celles de 1305 ne laisse aux Juifs que les yeux pour pleurer. Le roi Philippe IV les expulsa du pays sous le double grief d’hérésie et d’usure et s’appropria leurs biens.
L’Académie Juive de Narbonne fut fermée au moment où elle attirait sur elle les regards du Judaïsme universel. Le naci Kalonymos ben Todros jouait alors un rôle d’arbitre très écouté dans les controverses engagées au sujet des études hébraïques. Kalonymos dut aller exercer ailleurs son arbitrage, laissant à Narbonne les vingt maisons qu’il y possédait qui furent vendues à l’encan, au profit du trésor royal. Nous pouvons encore apercevoir l’ancienne Maison du Roi des juifs Au n°19, de la rue de l’ancien-courrier. [4]
Derrière la grille verte s’ouvre un patio : l’ancienne « Cour du Roi » du titre donné par Charlemagne à une famille dynastique juive.
Outre les deux arches caractéristiques du Moyen âge, nous pouvons voir, surmontant la façade un écusson martelé à la révolution, blason de la famille Kalonymos.
La maison du roi des juifs était celle du prince Calonyme. Cette maison fut vendue en 1307, aliénation des biens des juifs pour établir le consulat de Cité. Avant 1300 cet ensemble appartenait à Mohamed Tauro dit le Roi des Juifs. C’est le commissaire du Roi Gérard de Toulouse qui s’en rend acquéreur pour les consuls. En 1403 y habite Jehans de Polias, officier royal qui a plusieurs esclaves à son service.
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- Critique par: Allan Harris Cutler, A Jewish Princedom in Feudal France, 768-900 par Arthur J. Zuckerman. Journal de l’American Oriental Society, Vol. 97, No. 2 (Avril – Juin, 1977), pp. 207-210. Publié par: American Oriental Society.
- Patric Choffrut
– Licencié d’Allemand, Agrégé d’Anglais, Docteur ès Lettres (Thèse sur le mouvement syndical juif aux USA).
– Ancien Maître de conférences à l’Université d’Avignon.
– Ancien président de l’Institut d’Estudis Occi- dans (1980-82).
– Chercheur en langue, littérature et civilisation comparées. - The Jewish Magazine : www.jewishmag.com.
- Paul Carbonel, Histoire de Narbonne, des origines à la veille de la révolution (et De la révolution à nos jours), Éditeur : Laffite Reprints Marseille.
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En tant qu’auteur et chroniqueur indépendant, Guy Boulianne est membre du réseau d’auteurs et d’éditeurs Authorsden aux États-Unis, de la Nonfiction Authors Association (NFAA), ainsi que de la Society of Professional Journalists (SPJ). Il adhère de ce fait à la Charte d’éthique mondiale des journalistes de la Fédération internationale des journalistes (FJI).